Le droit au silence en matière disciplinaire

Le droit au silence de l’agent public visé par une procédure disciplinaire

Conseil d’Etat, 19 décembre 2024, n° 490157

Par cette décision de la fin de l’année 2024, le Conseil d’Etat vient de mettre le point final à une importante évolution de la jurisprudence administrative relative à la procédure disciplinaire des fonctionnaires et agents publics.

 

1.

Saisi par la cour de cassation en octobre 2023, dans une affaire concernant un notaire poursuivi par les instances disciplinaires de la profession, le Conseil Constitutionnel avait eu à se prononcer sur l’étendue des droits de la défense en matière disciplinaire.

Sont-ils de même nature qu’en matière pénale ?

Le Conseil d’Etat considérait jusqu’alors que le droit de garder le silence ne profitait qu’à la personne mise en cause dans une procédure pénale (Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 23/06/2023, 473249).

Mais la réponse du juge constitutionnel a été la suivante :

« Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. »

(Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023)

2.

Prenant acte de cette nouvelle circonstance de droit, le Conseil d'État (6ème - 5ème chambres réunies, 19/04/2024, n° 491226) a, à son tour transmis une QPC relative au statut de la magistrature, en tant qu’il ne prévoit pas que le magistrat, avant son audition dans le cadre d'une procédure disciplinaire, soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire.

Le Conseil Constitutionnel censure les dispositions correspondantes de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (Décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024).

 

3.

Enfin, par une décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024, le Conseil Constitutionnel étend sa jurisprudence aux dispositions de l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique et donc à l’ensemble des fonctionnaires soumis à une procédure disciplinaire.

 

4.

Restait néanmoins en suspens la question des conséquences pratiques de la méconnaissance de l’obligation d’information de l’agent public de son droit de se taire dans le cadre de la procédure disciplinaire.

Le Conseil d’Etat y apporte une première réponse dans sa décision du 19 décembre 2024 :

« Dans le cas où un agent sanctionné n'a pas été informé du droit qu'il a de se taire alors que cette information était requise en vertu des principes énoncés aux points 2 et 3, cette irrégularité n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur des propos tenus alors que l'intéressé n'avait pas été informé de ce droit. »

Cette position n’est pas sans rappeler le principe plus général du contentieux administratif selon lequel un vice de procédure n’est de nature à entraîner l’annulation d’une décision que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé l’intéressé d’une garantie (CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335033).

Comme en matière pénale d’ailleurs, le principe énoncé par le Conseil Constitutionnel en matière disciplinaire pourrait n’avoir que des conséquences pratiques limitées, dès lors que l’appréciation qui sera portée par le tribunal administratif le sera a posteriori, une fois la sanction prononcée et potentiellement exécutée, les déclarations de l’intéressé consignées et portées à la connaissance de l’autorité hiérarchique.

Enfin, rappelons que lorsqu’une sanction disciplinaire est annulée en raison d’un vice de procédure, rien n’empêche l’autorité hiérarchique de prendre une nouvelle décision identique à la précédente, purgée des irrégularités.

 

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