Utilisation des drones pour la préservation de l’ordre public et atteintes aux libertés fondamentales : à la recherche d’un équilibre
CE, 25 juillet 2023, n° 2301796
TA Mayotte, 25 septembre 2023, n° 2303659
Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2023-283 du 19 avril 2023 « relatif à la mise en œuvre de traitements d'images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative », les juridictions administrative, saisies à plusieurs reprises de la légalité des autorisations préfectorales en la matière, tentent de fixer un cadre à l’utilisation des drones.
Saisi d’une ordonnance prise en référé-liberté par le tribunal administratif de Pau, annulant un arrêté préfectoral autorisant l’utilisation de drones pour la surveillance de la frontière, le Conseil d’Etat a confirmé la première décision.
D’une part, le Conseil d’Etat valide le contrôle du respect du principe de proportionnalité : une mesure de police n’est légale que si elle est adaptée, nécessaire et proportionnée. Le principe est d’ailleurs rappelé par les dispositions des articles L 242-3 et suivants du code de la sécurité intérieure relatifs à l’utilisation des drones.
En l’espèce, les juges administratifs ont estimé que le préfet des Pyrénées Atlantique n’apportait pas la preuve que la surveillance n’aurait pu être réalisée avec des moyens – terrestres – moins attentatoires aux libertés publiques, atteinte notamment caractérisée par l’étendue de la zone de surveillance (20 km²), le nombre d’habitations concernées, et la durée quotidienne.
D’autre part, le Conseil d’Etat confirme également l’analyse du tribunal administratif de Pau sur la recevabilité de la demande en référé et l’appréciation de la condition d’urgence :
« L’urgence de la suspension de l’arrêté contesté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative doit être appréciée en tenant compte non seulement de ses effets sur les intérêts défendus par les requérants de première instance mais aussi de l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public auquel elle a pour objet de contribuer. Eu égard, d’une part, au nombre de personnes susceptibles de faire l’objet des mesures de surveillance litigieuses, d’autre part, aux atteintes qu’elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée, et alors, ainsi qu’il a été dit au point 6, qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public ne pourrait être atteint en recourant à des mesures moins intrusives au regard du droit au respect de la vie privée, ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie.»
Ainsi, l’urgence à statuer est en quelque sorte présumée lorsque le nombre de personnes concernées, l’étendue géographique du survol par drones, les plages horaires et la durée de l’autorisation sont importants.
Ce n’est pourtant pas la position adoptée, un mois après, par le tribunal administratif de Mayotte. Ce dernier est saisi en référé-suspension d’un arrêté du préfet de Mayotte autorisant le survol par drones, à toute heure, de la quasi-totalité des agglomérations de l’île, soit plus de 200 km² selon les associations requérantes. Il s’agit en fait du quatrième arrêté, le premier ayant été pris au lendemain de l’adoption du décret du 19 avril 2023, et les suivants étendant chaque fois l’étendue géographique de la surveillance.
La surveillance par drones est ici destinée à prévenir les violences urbaines, « dans des secteurs difficilement accessibles et non couverts par la vidéosurveillance ».
Alors que la question de la proportionnalité de la mesure de police aurait pu se poser de façon accrue, la requête est rejetée par ordonnance sans audience ni instruction (art. 522-3 CJA), au motif que la condition d’urgence n’est pas établie : « Dès lors qu’aucune circonstance précise et concrète n’est invoquée par les associations requérantes et notamment sur les conséquences qu’elle peut entraîner et en l’absence de contradiction utile des motifs de cette autorisation, la condition de l’urgence à suspendre son exécution ne peut être regardée comme satisfaite. »